Même celui qui n’a jamais été en Afrique a déjà entendu le mot « palabre ». Le terme est souvent interprété comme étant vaguement synonyme d’interminables bavardages plus ou moins stériles avec une connotation péjorative. Evidemment c’est inexact et surtout très ethnocentrique. Pour approcher au plus près la valeur de la parole chez les africains lisons cet extrait relevé dans « les religions d’afrique noire – textes et traditions sacrés » de Louis Vincent Thomas, Bertrand Luneau et Jean Doneux.
« La civilisation africaine procède avant tout du Verbe, qu’il soit parole, rythme ou symbole. Il suffit, pour s’en convaincre, de rappeler les inévitables causeries qui, à l’heure de la sieste, sur la place de la concession, ou le soir, autour du feu, réunissent plusieurs dizaines d’assistants en des colloques animés, parfaitement réglés, et interminables. Généalogies, récits historico-légendaires, contes, fables, proverbes, énigmes et mythes constituent l’essentiel de cette littérature orale, dont on commence seulement à apprécier la richesse.
Le langage, toutefois n’est pas seulement instrument de communication ; il est ex-pression, par excellence, de l’être-force, déclenchement des puissances vitales et principe e leur cohésion. Sur le plan métaphysique, le verbe est créateur par la parole de Dieu et création continuée par le souffle humain, c'est-à-dire l’âme. « Le pagne est serré, dit Ogotemmêli, pour qu’on ne voit pas le sexe de la femme, mais il donne à tous l’envie de voir ce qui est en-dessous. C’est à cause de la parole, que le Nommo (puissance religieuse : le Verbe) a mis dans le tissu. Cette parole est le secret de chaque femme et c’est cela qui attire l’homme… Être nu, c’est être sans parole ». On ne saurait trouver, aux yeux de l’Africain, de symbole plus convaincant pour souligner le pouvoir efficient du Verbe. C’est ainsi que Komo-Dibi, le chantre malien du komo (société d’initiation) répond à la question « qu’est que la parole ? » :
La parole est tout.
Elle coupe, écorche.
Elle modèle, module.
Elle perturbe, rend fou.
Elle guérit ou tue net.
Elle amplifie, abaisse selon sa charge.
Elle excite ou calme les âmes. »
Et, un peu plus loin, dans le même ouvrage :
« Sans doute, la pure oralité ne constitue pas en soi une infirmité condamnable. Cl. Lévi Strauss et P. Guillon n’ont-ils pas montré que l’avénement de l’écriture, quels qu’en soient les bienfaits, n’actualise pas nécessairement un accès à un niveau supérieur de culture ? »
arbre à palabre