« à la descente » comme on dit ici en parlant de l’heure à laquelle on quitte son bureau pour rentrer chez soi, donc vers 17h, Zall le gardien m’attendait avec une mauvaise nouvelle : en début d’après-midi nous avions été cambriolé. Trois jeunes ont fracturés les grilles des fenêtres à l’arrière de la maison et ont emporté deux télévisions, un magnétoscope appartenant à la propriétaire (qui vit en Hollande) et mon ordinateur portable avec, ce qui est le plus dur à avaler, cinq ou six mille photos de mes précédentes missions en Afrique.
N’ayant en aucune manière le désir de ne rien faire devant cette situation, je décide d’aller porter plainte contre X au commissariat de Mbour, sans excessive conviction je dois l’avouer, mais au moins j’aurai fait ce qu’il fallait. J’y vais avec Zall qui de son coté au nom de sa patronne fait de même.
L’enregistrement de ma plainte est laborieux mais pris au sérieux. Cela a pris du temps et j’ai eu le temps de m’imprégner de la très tenace et très omniprésente odeur d’urine rance qui règne dans les locaux.
Quelques jours plus tard je suis convoqué au commissariat avec Zall pour nos dépositions respectives. Après quelques heures d’attente (!) on nous introduit dans un bureau encombré et en désordre. Une jeune femme couverte d’hématomes, probablement copieusement tabassée, attend dans un coin patiente et résignée, le regard vide, tassée sur une mauvaise chaise que son tour vienne.
Je décline mes civilités et produit mon passeport au jeune commissaire actif et compatissant qui enregistre sur son ordinateur portable l’ensemble des faits relatés par Zall en wolof : s’étant absenté à 12h pour quelques courses à faire à Mbour la maison était sans surveillance. Les voleurs devaient guetter les allées et venues et sachant que je ne rentrais pas à midi ont eu le loisir, mais rapidement, d’accomplir leur forfait. Ce quartier n’a pas très bonne réputation mais tout de même pour venir cambrioler en plein jour il faut pas mal de toupet ! Ou alors de l’inconscience.
Sur les trois lascars deux ont été vite appréhendés avec les deux téléviseurs, le lecteur de DVD et conduits dans une cellule commune du commissariat de Mbour avant d’être transférés à la prison de Thiès. Le troisième, précisément celui qui détient mon ordinateur et ses photos court toujours : aux dernières nouvelles il aurait été localisé en Casamance.
Je pensais l’affaire quasiment close, quand à ma grande surprise quinze jours plus tard nous sommes convoqués au tribunal de Thiès. L’étant à 8h du matin nous partons tôt avec Zall. Cependant même s’il faut saluer la diligence de la justice sénégalaise dans ce dossier, nous ne sommes passés devant le tribunal qu’à 18h30 ! Longue journée d’attente sans pouvoir nous éloigner car nous ignorions quand notre tour viendrait.
Journée d’ennui, sans manger - j’ai juste envoyé Zall nous chercher une bouteille d’eau - mais ce jour là j’ai appris quelque chose, une explication sur ce vol qui ne constitue évidemment pas une excuse : en effet le jour du cambriolage nous étions à quelques jours de la tabaski (en Afrique du nord on l’appelle Aïd el kebir ou fête du mouton), grande fête à laquelle Zall, musulman, allait de son coté avec toute sa famille, participer. C’est une fête qui coûte cher : il faut acheter un voire plusieurs moutons, certaines familles n’ont pas les moyens de le faire et il est particulièrement humiliant, déshonorant, impensable de ne pas être, financièrement s’entend, à la hauteur de l’événement. C’est ainsi que l’on note à cette époque de l’année une recrudescence des vols, chacun cherchant par tous les moyens, y compris donc les plus répréhensibles, à rassembler les sommes nécessaires à la réussite de cette manifestation à la fois familiale et collective.
A la barre je les regarde les deux jeunes délinquants à la dérobée : ils ont de belles et bonnes têtes, presque des têtes d’enfants que l’on imagine souriantes en d’autres circonstances.
« Ils n’ont pas été longtemps sur les bancs » me glisse Zall avec un rien de mépris signifiant par là qu’ils n’ont pas été longtemps à l’école.
La sentence du tribunal est lourde, il faut dire que l’un d’entre eux est récidiviste: deux ans de prison dont un ferme, 400000 fcfa (600 euros) de dommages et intérêts pour la propriétaire de la maison et 800000 fcfa (1200 euros) pour moi. Montant colossal que leurs familles vont bien devoir réunir quand ils sortiront de prison. A ce moment là je serai déjà rentré en France, je suis donc raisonnablement optimiste sur les chances que j’ai de récupérer mon dû car tant qu’ils ne se seront pas acquittés de leur dette ils devraient restés dans leur sinistre geôle…
Cette année là ils ne fêteront pas la tabaski avec leurs familles au village, ils ont perdus ce qu’ils avaient volé, vont passer un an en prison et sont couverts de dettes.
Triste bilan, bilan en fait d’une partie de la jeunesse dans un pays pauvre au système éducatif public défaillant, au chômage endémique, d’une jeunesse souvent laissée pour compte.
Et je n’arrive pas, je l’avoue malgré la perte de mes photos, à considérer ces apprentis voleurs comme seuls et uniques responsables de mon préjudice.
# sur la droite, une maison blanche et sur la gauche un mur blanc couvert de bougainvilliers: c'est là où je vis.
## à la saison sèche les chèvres du quartier n'ont rien d'autre pour se nourrir que du papier journal.
### le quartier en question.