Aujourd'hui je vous propose un livre, "Le racisme revisité" de Octave Manoni. L'ouvrage n'est pas d'un accès très facile, l'auteur est philosophe de formation, il a fait et continue à faire débat mais c'est à lire, à chacun de se forger sa propre opinion.
Il n'est pas d'approche neutre du racisme. Les analyses psychologiques qu'en ont inspiré, dans les années 50, la mauvaise conscience occidentale et les guerres de libération nationale furent souvent guidées par l'idéal moral ou l'engagement politique. C'est d'une place de maître ou d'esclave qu'on tient un discours sur la différence. Loin de vouloir échapper au dilemme, Octave Mannoni montre, par la voie de la psychanalyse, comment les images que le colonisateur s'est fabriquées par avance du colonisé, nient celui-ci: "Le Nègre, c'est la peur que le Blanc a de lui-même." En effet, où est l'Autre dans cette image de soi qui fomente une phobie sans colmater la haine? Octave Mannoni veut moins pourfendre le mal qu'analyser le mécanisme de dépendance unissant le colonisé au colon par l'écran imaginaire que chacun a dressé entre lui et l'autre, par la place symbolique où le premier installe le second, si sa culture l'y incite. C'est pourquoi la perspective anthropologique est ici essentielle, autant que les circonstances qui motivèrent cette réflexion: les "événements de 1947" qui, à Madagascar, annonçaient un processus de libération politique. Après coup, Octave Mannoni le reconnaît implicitement: on ne saurait lutter contre le racisme avec de bonnes intentions. Et les croisades invoquant les fétiches sacrés des droits de l'homme, de la démocratie, de l'universalisme ou du pouvoir de la raison pourraient bien masquer la culpabilité occidentale comme son désir d'avoir le dernier mot. C'est une décolonisation de soi-même qui s'impose, toujours à recommencer. Face à la recrudescence actuelle du racisme, on mesure la portée de cette exigence.
Né en Sologne, de parents corses, il fait des études de philosophie à Strasbourg. Bi-admissible à l'agrégation de philosophie, il regrettera toute sa vie d'avoir toujours été recalé à l'oral. Dans lesannées 1920, il enseigne à la Martinique, au lycée Shoelcher et se lie d'amitié avec le poèteGilbert Gratiant, l'un des premiers à écrire des poèmes en créole. Ils fondent ensemble la revueLucioles.
Dans les années 1930, il est professeur de philosophie à Madagascar, où il porte un regard original et décalé sur les rapports entre les colonisés et les colons. En 1945, il devient chef du service d'information de l'île. Dans ses attributions, il se voit confier la direction du support de la propagande officielle : la Revue de Madagascar, où il donne place à la tradition littéraire malgache. Le général de Gaulle le rappelle en France en 1944, car il préconise l'indépendance de Madagascar. Il est alors affecté au ministère de la guerre, où il pose son chapeau sur le porte-manteau le matin, et le récupère le soir.
La révolte de 1947, réprimée dans le sang, lui sert de support pour une analyse des relations de dépendance en situation coloniale, des fantasmes inconscients que les colons plaquent sur les indigènes et sur la violence sous-jacente du processus de colonisation.