UNE PETITE AVENTURE
L’autre dimanche en fin d’après-midi nous décidons avec un petit groupe de belges de passage à la mission de nous rendre à pieds boire un verre à Kimbala distant de quelques kilomètres. En arrivant, nous repérons un estaminet plus africain que nature un peu à l’écart de la route et nous y installons. Notre bière à peine entamée un violent orage éclate, pour se transformer ensuite en longue pluie diluvienne.
Nous attendons mais le temps passe, il est maintenant 19h, il fait nuit, il nous faut rentrer mais il n’y a plus aucun taxis pour nous emmener à la mission. Bref échange entre nous : nous décidons de rentrer à pieds malgré la forte pluie.
Jusqu’au pont qui enjambe l’Inkisi, la route est goudronnée. Nous la quittons ensuite pour entamer d’un pas déterminé la piste de latérite particulièrement boueuse et glissante.
Quelques congolais à l’abri sur le pas de leur porte rient en nous regardant passer : ah ! ces moundele ! ils sont vraiment bizarres ! D’où venez vous nous interpelle-t-on ? et, comme il nous faut répondre quelque chose : de Kinshasa ! Les rires s’amplifient. Nous sommes déjà loin quand ils résonnent encore.
Le groupe petit à petit s’est scindé en deux parties : loin devant, Jacques et Suzanne marchent d’un pas de quasi commando. Il est vrai que Suzanne, jeune et musclée sous-lieutenant de l’armée belge est rodée à ce genre d’exercice. Jacques, vaillamment la suit.
Avec moi trois autres personnes. Michel dont c’est le premier séjour en Afrique semble cependant heureux de cette petite aventure, de cette sorte d’apprentissage africain. On devine dans le regard de Christine au beau visage de madone, le plaisir simple d’être là, de marcher dans la nuit sous les traits vifs et tièdes de la pluie équatoriale. Christine connait l’Afrique. Antoine, la soixantaine bien entamée peine un peu et nous demande de ralentir le pas. Je ne suis pas mécontent de sa requête, un nerf sciatique peu coopératif se rappelant trop souvent à mon bon souvenir.
La pluie continue sans faiblir, nous sommes évidemment trempés. Je ne sais pas pourquoi cette belle phrase de Jacques Laccarrière me vient à l’esprit :
« Je suis seuil et je suis chemin.
Je suis pierre qui dit l’horizon.
Je suis l’enclos des pas nomades.
Je suis paume où se lisent les lignes de l’ailleurs. »
Comme souvent en pareille circonstance l’émotion me saisit presque par surprise : je suis donc à nouveau ici, dans cette Afrique Centrale mythique à fouler avec mes compagnons cette même et belle terre que mes frères lointains ? J’ai donc franchi, les mêmes fleuves, les mêmes savanes les mêmes parallèles ?
Oui, j’ai entendu battre le cœur profond de l’Afrique dans la solitude des villages de brousse.
Minuscule maillon dans la longue chaine de la vie et troublé plus que de raison je sens m’envahir un très étrange parfum d’immortalité, « …Pèlerinage par les routes migratoires, voyage aux sources ancestrales. »*.
Laissant sur notre droite l’entrée du jardin botanique la marche continue, calme, un peu bavarde, de plus en plus humide. Il fait très sombre. Parfois de grands éclairs somptueux illuminent les alentours nous laissant brièvement entrevoir la silhouette fantasmagorique d’un palmier solitaire sur fond de ciel tourmenté.
Seigneur que l’Afrique peut être belle !
« Je suis seuil et je suis chemin.
Je suis pierre qui dit l’horizon.
Je suis l’enclos des pas nomades.
Je suis paume où se lisent les lignes de l’ailleurs. »
République Démocratique du Congo – Kisantu – Avril 2012