De la Somone à Poppenguine
C’est une petite troupe qui quitte ce dimanche matin la maison de Monique et Alain à la Somone pour une longue promenade en bord d’océan jusqu’à Poppenguine, Poppenguine haut lieu de pèlerinage des catholiques du Sénégal.
Nous sommes cinq, quatre blancs et un noir, Alain au profil busqué fort peu sénégalais.
La marche commence, joyeuse. Il faut d’abord franchir ce qu’on appelle « la lagune », c'est-à-dire la courte embouchure de la Somone - le petit fleuve qui a donné son nom au village - avant de véritablement entamer le trajet qui nous mènera à Poppenguine, distant d’une quinze de kilomètres. Nous traversons sur une barque à moteur.
En cours de chemin, je discute avec Alain. Il m’apprend que son père est congolais, du Congo Kin. On bavarde un peu de la mission que j’ai faite au Nord-Kivu, on parle de son pays, en fait de l’un de ses pays.
Nous sommes sur la plage, la progression n’est pas facile sur le sable mais nous prenons notre temps, celui-ci est au demeurant merveilleux, laissons quelques pêcheurs qui rentrent, la journée est belle, claire, minutieusement lumineuse.
Avant de plus ou moins ramper sous une petite arche de pierre pour pouvoir poursuivre, Alain me glisse que sa mère est née en RCA et qu’il a vécu longtemps à Bangui. Je le regarde avec douceur, je garde une tendresse infinie pour ce pays.
- J’ai habité deux ans à Bangui lui dis-je.
- Ah bon ?
Au loin dans la brume chaude et vibrante de cette fin de matinée apparaît la silhouette de la basilique de Poppenguine. Il y a encore un peu de marche à accomplir, nous pressons le pas pour être à peu près arrivés à l’heure du déjeuner.
Il a commencé sa vie à Bangui comme godobé, un enfant des rues comme il y en a beaucoup dans la capitale centrafricaine. Bien sûr il commet de nombreuses bêtises avant de devenir joueur de foot professionnel. Mais là, c’est la belle vie ! Les filles, l’argent facile, les voyages : Libye, (avec un peu de prison), France, Allemagne, Suède, Russie…
Les crevettes à l’ail et le quart de rosé frais sont les bienvenus une fois posés sur la terrasse d’un estaminet surplombant l’océan. Longue pause salvatrice, il nous faut aussi faire tout à l’heure le trajet inverse !
Après le repas je vais me baigner avec Alain. On ne se dit rien. Peut-être est-ce l’eau trop froide.
Pour le retour un de nos amis propose de passer par la « réserve », une colline préservée de la voracité des promoteurs, au paysage sauvage, un peu dur, caillouteux, sec.
On part, je ne dis rien, quelque chose me dit d’attendre. Alain continue son histoire et c’est à ce moment que je découvre avec stupeur qu’il est un neveu direct de Jean Bedel Bokassa. Pas un neveu à l’africaine, non, un vrai neveu : son père était le frère de Bokassa « même père, même mère » comme il juge utile de me préciser et il a raison de le faire car nous sommes en Afrique.
Bokassa ! Bokassa, empereur ubuesque d’un pays dévasté, Bokassa devenu empereur avec l’approbation bienveillante et coupable de la France giscardienne, empereur cruel qui conserve cependant des nostalgiques de son règne - dont Alain- (mais j’en ai croisé beaucoup d’autres à Bangui), Bokassa dont la gigantesque statue de bronze à Bérengo en ruine, son repère à 70 kms au sud de Bangui, veille toujours, inutile et dérisoire, sur l’ombre d’un pays toujours dévasté.
Alain qui revendique avec fierté sa parenté, parle de Catherine, l’impératrice - que j’aurais du rencontrer quand j’étais à Bangui – avec gentillesse et émotion, Catherine, ravissante métisse avec laquelle il a joué.
Alain à l’itinéraire bousculé est heureux de vivre.
Alain au profil d’aigle, séduisant et chaleureux, rencontré un jour par hasard au cours d’une promenade dominicale au Sénégal vit à la Somone avec Monique, une toubab, et chante dans les bars de la région.
Il a quarante ans.