Pendant ma mission de trois mois au Nord-Kivu le premier trimestre 2008, j’avais écrit un article sur les violences faites aux femmes dans cette région en citant un cas très précis volontairement appelé « fait divers dans les Kivus », car il s’agit bien d’un fait divers, c'est-à-dire qui n’intéresse personne.
Le journal l’Express dans son édition en ligne d’aujourd’hui, mercredi 6 octobre republie un rapport accablant d’Amnesty International en date du 26 novembre 2008 sur le même sujet. L’hebdomadaire a raison, rien n’a changé dans cet endroit aux paysages bénis des Dieux, dans l’indifférence la plus totale.
Nous ne rappelerons jamais assez les souffrances endurées par ces populations.
Je republie donc aujourd’hui mon article ainsi que celui de l’Express.
FAIT DIVERS DANS LES KIVUS
Avril 2008 - Dominique BAUMONT
Ils sont sept ce soir là à frapper à la porte de leur maison. Sept rebelles à vouloir pénétrer chez ce jeune couple. Elle a vingt ans, lui guère plus.
Repoussant brutalement la porte à peine entrouverte ils se précipitent à l’intérieur, attachent solidement le mari sur son lit et déshabillent sans aucun ménagement son épouse, commence alors un interminable viol collectif.
Le premier, son forfait accompli laisse la place au second. Mais celui-ci avant d’opérer prend le soin de mettre un mouchoir au bout du canon de son kalachnikov et, l’enfonçant dans le vagin de sa victime nettoie consciencieusement l’orifice désiré avant d’agir. Ainsi pendant les sept rebelles.
De longues heures plus tard, satisfaits et repus les intrépides soldats quittent le domicile du couple.
Le lendemain matin, notre histoire n’est pas terminée, la belle famille de la jeune femme vient la voir et lui dit ceci :
« Si tu demandes pardon à ton mari, où ce qui serait mieux encore, si tu lui offres une chèvre ou deux, peut-être te pardonnera-t-il et te gardera-t-il à la maison».
Dans cette histoire personne ne sait ce que la victime est devenue. Si elle a quitté son village ne voulant pas demander pardon, considérant qu’elle n’avait pas raison de le faire ( ce qui nous parait évident n’est ce pas ?) ou n’ayant aucune chèvre à offrir elle n’a pu en tout état de cause et en aucun cas trouver refuge dans un autre car en voyant une jeune femme hébétée à la démarche incertaine se présenter seule aux abords des premières cases, chacun sait ce qu’il lui est arrivé, elle est donc rejetée, bannie, méprisée, priée d’aller cacher sa honte au fond de la forêt. Ce que beaucoup d’entre elles font, n’ayant d’autre alternative, rencontrant à nouveau sur leur chemin perdu quelques « libérateurs » pour leur plus grand malheur, errant sans fin, terminant leur jeune vie mortes de chagrin, de terreur et de faim.
Ces femmes, et il y en a beaucoup comme elles dans ces contrées paradisiaques et bénies des Dieux ou les grands singes vivent paisiblement dans les forêts des « mille collines » lumineuses du Kivu et du Rwanda, trouvent parfois refuge dans des centres qui les prennent en charge physiquement, psychologiquement et, pour les plus « chanceuses » d’entre elles dans des hôpitaux capables de pratiquer des opérations de reconstruction vaginale.
Il arrive aussi que le travail, pour celles qui le peuvent et en ont l’énergie, supportant le regard lourd et réprobateur des autres, soit une thérapeutique efficace.
Sans doute, sans aucun doute même parmi celles, nombreuses, croisées au cours de notre programme, apercevant furtivement au détour d’une douleur cachée le visage craintif mais entendu d’une de leurs congénères y avait-il de ces femmes brisées, oubliées de tous, des leurs, de nous autres les autruches, les indifférents, les protégés, les riches.
Certaines ont le regard fixe et dur, d’autres sont quelquefois souriantes et peureuses, toujours méfiantes, aucune ne se plaint, de toute manière elles ne pleurent plus.
Mercredi 6 octobre 2010
"Au Nord-Kivu, l'impunité favorise la banalisation des viols"
Par Marie Simon, publié le 25/11/2008 17:36 - mis à jour le 26/11/2008 10:46
A l'occasion de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, ce mardi, Amnesty International veut mettre en lumière le cas des femmes du Nord-Kivu. Où le viol constitue une arme de guerre qui se banalise, déplore Carmen Gordon, porte-parole de l'ONG, interrogée par LEXPRESS.fr.
REUTERS/Finbarr O'Reilly
Dans les camps de personnes déplacées du Nord-Kivu, beaucoup de femmes sont seules, vulnérables... Ici à Kiwanja, à 70 km de Goma, le 11 novembre, une femme attend des nouvelles de ses fils.
Un rapport d'Amnesty International, publié ce mardi, tire la sonnette d'alarme au sujet des violences faites aux femmes du Nord-Kivu, dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC). Vos chiffres et les témoignages recueillis, édifiants, datent du début de l'année. Avec la reprise des affrontements, notamment dans l'est du pays, avez-vous des informations récentes sur le sort des femmes dans ce conflit?
Nous craignons bien sûr que la situation ne se soit encore aggravée. Nos chercheurs sont repartis là-bas mais ne nous ont pas encore transmis de données. Des statistiques qui seront, de toute façon, non exhaustives, car toutes les violences de ce type ne sont pas recensées.
Des engagements ont pourtant été pris pour protéger les civils et notamment les femmes.
L' "Acte d'engagement" signé le 23 janvier oblige le gouvernement et les rebelles à mettre fin à ces agissements ainsi qu'au recrutement des enfants soldats. Le gouvernement doit aussi respecter les traités internationaux relatifs aux droits humains qu'il a ratifiés. Et le Conseil de sécurité de l'ONU a condamné à l'unanimité le viol utilisé comme arme de guerre, dans la résolution 1820 en juin dernier... Mais cela n'a rien changé.
Viols et recrutements d'enfants se multiplient
Une autre ONG, World Vision, alerte la communauté internationale au sujet des violences faites aux femmes et des recrutements d'enfants "qui se sont accélérés avec la reprise des combats".
De quoi font état les témoignages des femmes qui ont subi ces violences?
De viols individuels et collectifs par des soldats ou des rebelles, d'hommes menacés et obligés de violer des femmes, parfois en public, dans des villages, sous les yeux des enfants. Ou encore d'enlèvements qui conduisent des femmes et des enfants tout droit à l'esclavage sexuel, au beau milieu de la forêt.
Les séquelles sont très graves. Physiques d'abord: certaines femmes ont l'appareil génital détruit, notamment parce qu'on a utilisé des armes pour les violer, d'autres sont contaminées par le VIH. Et puis psychologiques: ces hommes violent en toute impunité et, même s'ils sont ponctuellement punis, leurs victimes peuvent les croiser de nouveau dans les villages.
REUTERS/James Akena
Des victimes de violences sexuelles écoutent attentivement le discours d'un humanitaire venu à l'hôpital Panzi de Bukavu, au Sud-Kivu, le 6 septembre 2007. Toutes ne peuvent malheureusement pas accéder à ces infrastructures rares en RDC.
En plein conflit, quels sont leurs recours, en termes de soins médicaux mais aussi de justice?
Elles sont seules! La RDC n'a pas les hôpitaux ou les centres de soins qu'il faut et peu d'entre elles y ont accès, à condition qu'elles puissent se déplacer. Quelques ONG ont des centres mobiles mais cela ne suffit pas. Quant au système judiciaire, il est défaillant. Peu de femmes osent parler et porter plainte. Tout est là pour instaurer une culture d'impunité autour des violences infligées aux femmes... ce qui favorise leur banalisation.
Leur banalisation, c'est-à-dire?
Toutes les parties du conflit commettent ces exactions. Les soldats de l'armée régulière, les rebelles de Laurent Nkunda, les Maï-Maï... mais aussi les civils. Plus de la moitié des viols déclarés au début de l'année ont ainsi été commis par des civils.
Que fait la Monuc, la force de l'ONU dont la première mission est de protéger la population?
Ce qu'elle peut... Elle n'a pas assez de troupes et ne peut pas être là où on a besoin d'elle. Elle souffre aussi d'un problème de gouvernance: les troupes pakistanaises ou indiennes ont tendance à obéir au commandement de leur pays plutôt qu'à celui de la Monuc.
Une fois ce constat terrible établi, que demande Amnesty International?
Le renforcement de la Monuc pour protéger la population civile, ce que doit aussi faire le gouvernement, face à ces atrocités. Sans sécurité, la paix et la reconstruction sont impossibles.
femmes déplacées - Nord-Kivu
photo Dominique BAUMONT